Il est vrai qu’à la mi-février, ni l’analyse des 140 000 propositions déjà enregistrées sur le site du Grand Débat, ni le sondage réalisé par Kantar pour l’USH n’avaient confirmé que le logement faisait partie des priorités des Français (1). Pourtant, dès le 4 février, au débat d’Evry-Courcouronnes tenu autour d’Emmanuel Macron, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre avait noté que le sujet du logement « revenait sans arrêt » dans les prises de parole, « preuve qu’il faut y apporter une réponse […] et le considérer à la mesure de tout ce qu’il impacte à l’échelle de la société ».
C’est ce qui est advenu depuis le 14 février. Le logement est revenu sur le devant de la scène médiatique comme un sujet à part entière, cette fois-ci avec des solutions et des propositions incisives, si bien de la part des acteurs de l’habitat que de leurs parties prenantes.
Une union totalement inédite de la Fédération Française du Bâtiment, de l’USH, du Medef, de la Fondation Abbé Pierre et des collectivités territoriales s’est constituée mi-février pour lancer un appel pour « un pacte productif » ; puis les ESH ont fait 10 propositions, bientôt suivis par l’USH qui en a fait 12 dans une lettre au Premier Ministre. Le mouvement HLM, offensif, réclame un retour sur la RLS et l’aide à la pierre, en contrepartie de quoi il s’engagerait à produire plus : 150 000 logements neufs et 150 000 réhabilitations thermiques par an.
Certes, il y a là - dans le construire et isoler plus - des solutions au sujet tel qu’il est posé par le gouvernement. Mais est-on bien sûr de répondre aux revendications de ceux qui, en dénonçant sur les ronds-points la fragilité de leur pouvoir d’achat, ont déclenché le grand débat ?
Et de fait, la mission d’utilité sociale des bailleurs est plus que jamais d’actualité et refait surface dans le débat comme une garantie sociale essentielle. Le 19 février à la Sorbonne, dans une table ronde sur « le niveau d’inégalités que peuvent supporter les sociétés », on a entendu Cécile Duflot, désormais directrice internationale de l’ONG Oxfam, amener le sujet logement sur la table : elle a rappelé son rôle et son poids dans l’augmentation considérable des dépenses contraintes des ménages depuis les années 1960, passé de 10 % à 30 % aujourd’hui ; et le rôle des APL qui apparaissent dans ce contexte comme un outil particulièrement performant pour les familles monoparentales - toutes les études confirment à quel point elles pèsent dans la montée de la précarité en France - à qui elles « assurent » la permanence d’un toit, qui les empêche de décrocher.
La veille, le géographe Jean-Pierre Levy, directeur de recherche au CNRS, ne disait pas autre chose quand il affirmait dans sa tribune au Monde que « l’inquiétude des Gilets Jaunes n’exprime pas tant une revendication de droit à la mobilité que la crainte de perdre une garantie sociale essentielle, celle du droit au logement ». Crainte que l’on retrouve selon lui dans toutes les classes d’âges, toutes les catégories sociales et tous les territoires. « Dans les centres comme dans les périphéries, alerte-t-il, ce droit est aujourd’hui remis en cause par la rareté du parc locatif […]. A fortiori quand le maintien dans le logement quel qu’il soit est lié au maintien dans l’emploi, sous la pression d’un marché du travail de plus en plus flexible. »
Comme en échos, la commission européenne a choisi le 27 février pour publier un rapport sur l’économie française, affirmant que des « investissements plus rigoureux dans le logement social, en particulier dans les zones à forte demande, pourraient réduire la détresse sociale et favoriser la mobilité de la main d’œuvre ».
Il aura donc fallu la commission européenne pour rappeler à l’Etat français l’impact social des logements HLM. De fait, en accompagnant les plus fragiles, en maintenant le dialogue avec leurs locataires ou en signant des partenariats locaux pour mieux aménager et animer les quartiers prioritaires, c’est bien à sécuriser les parcours résidentiels- et permettre des parcours « de vie » - que travaillent les bailleurs sociaux, s’aventurant ainsi souvent au-delà de leur cœur de métier.
Cette vision élargie de la mission des bailleurs sociaux rejoint les 66 propositions (2) présentées par une coalition inédite de 19 associations, ONG et syndicats réunis le 5 mars derrière Nicolas Hulot et Laurent Berger sur le thème cette fois-ci du « pouvoir de vivre » des Français. Le logement en fait partie intégrale, et figure même en tête des propositions. « On doit mettre les moyens là où on en a le plus besoin – l’investissement productif au service de la transition écologique, la vie quotidienne des Français avec les déplacements et le logement – en direction des plus fragiles », a ainsi affirmé Laurent Berger dans une interview au Monde.
En fin de compte et pour revenir à un vocabulaire désormais familier à Habitat en Région, l’enjeu ainsi posé dans le grand débat n’est-il pas de disposer des moyens – marges de manœuvre financières et juridiques - pour mettre effectivement la performance économique au service de la performance sociale ? La contrepartie de ces moyens accordés aux bailleurs sociaux et à leurs parties prenantes pourrait être de rendre également compte de cette performance sociale.
Quoiqu’il advienne, le Grand Débat aura eu le mérite de reposer la question du logement social dans toutes ses dimensions et comme un élément fondamental des solutions pour demain. C’est en tout cas le sens du projet d’Habitat en Région, de son parti pris d’organisation régionalisée et de son plan stratégique Grandir Ensemble.
1- Le logement était cité dans 0,33 % des propositions du site du grand débat au 31 janvier, et comme préoccupation principale des Français dans seulement 33 % des cas dans l’enquête Kantar/ USH
2- Les 1ères des 66 propositions concernent « l’accès à un logement digne », l’encadrement des loyers et la lutte contre les « passoires énergétiques en finançant leur rénovation ».